claire angelini/drancy

 

PROJET SUR LA MUETTE / PROJET ON THE MUTE

Quand « La hantise est à la mémoire collective ce que l’hallucination est à la mémoire privée, c’est-à-dire, une modalité pathologique de l’incrustation du passé au cœur du présent, (Ricoeur), il s’agit de saisir comment notre actualité la plus quotidienne, celle d’une cité défavorisée de la banlieue parisienne, se trouve habité voire tourmenté par l’Histoire.




INSTALLATION

Film de papier (32 x 500 cm) / Bande sonore 15’/ Dessins

Plans installation: copyright Agence l’Escaut Architectures 2014

LIVRE D’ARTISTE

Livre-film unique /Coffret



LIVRE

Editions Photosynthèses, Arles, 2013

240 pages

17 x 24 cm



LECTURES / PRÉSENTATIONS

Salon du livre/ Gens d’Image Fontainebleau, 2013

Nominé au Prix Nadar, juin 2013

Salon du livre, Blois, 2013

Galerie Michèle Chomette 2013

La Compagnie Marseille / Librairie l’Odeur du temps 2013






 





Territorien/Zeit (Territoires/Temps)

par Benoît Turquety


Drancy cherche à être le retour même d’un refoulé, sa formulation et sa mise en forme. Comment dire non pas ce que fut Drancy, mais ce que Drancy continue d’être, et peut-être surtout, ce que Drancy aura été dans l’histoire française ? Cela constitue exactement un problème, dont la solution est sans doute inatteignable et hors de propos (inaccessible au langage), mais dont l’articulation comme problème constitue une tâche politique majeure.

La proposition de Claire Angelini n’est pas cinématographique, mais travaille le cinéma. La forme physique du livre accordéon, livre objet qui a l’avantage de tenir debout, pose déjà problème au lecteur, pour qui tourner la page perd un peu de son évidence (« lire, cette pratique… »), pris qu’il se retrouve entre quelque chose qui serait la page, et quelque chose qui est la bande, l’envie de tout déployer pour percevoir l’ensemble d’un seul mouvement de regard, comme un paysage encore. On peut retrouver plusieurs modèles historiques au livre accordéon. L’un, fort connu, est la collection de cartes postales détachables, où chaque pli, prédécoupé, sépare une image potentiellement autonome. L’ensemble présente un échantillon de points de vue sur les hauts lieux touristiques de l’endroit visité, dans une logique énumérative pouvant parfois mimer celle du parcours. L’autre modèle est celui du livre panorama répandu au milieu du dix-neuvième siècle, « produit dérivé » accompagnant la visite de l’une de ces immenses peintures circulaires au milieu desquelles le spectateur contemplait un paysage sur 360° – paysage qui pouvait être géographique, rural ou urbain (Londres depuis ses toits), ou historique (la bataille du 19 janvier 1871 pendant le siège de Paris). Ces livres pouvaient prendre deux formes principales : reproduire l’ensemble du panorama sur une bande de papier peinte, destinée à être étalée ; ou donner les informations complémentaires à l’expérience panoramique : carte de la bataille, explication du panorama et données historiques (dans ce dernier cas, le livre peut avoir une forme concrète plus ou moins complexe – carte insérée à déployer, etc. –, mais n’est pas a priori en accordéon).

Drancy la Muette agence ensemble, par une certaine pratique du montage, ces différentes configurations du livre accordéon, en jouant de leur tension. Tension entre l’unité page (double page en l’occurrence, comme dans le Coup de dés) et l’unité formée par la bande dans son ensemble. Tension créée par l’alternance entre images photographiques et dessins sur fond noir, voire entre images et texte. La bande images elle-même apparaît comme un montage continu de photographies, chacune formant une section de largeur variable (mais sur toute la hauteur de la bande) ajointée à sa voisine sans aucun cadre ou intervalle inter-images. Montage continu, mais marqué par la discontinuité de matière d’images dont les sources sont diverses : noir et blanc et couleur, photographies prises par l’artiste et images d’archives, certaines exhibant une trame où se dévoile la traversée historique des médiums par l’image, de la pellicule argentique à la vidéo à la photographie numérique et à l’impression sur papier, etc.

Ainsi, par le double montage non concordant des jointures et des plis, le dépliant Drancy la muette échafaude une tension formelle à plusieurs niveaux superposés entre continu et discontinu, qui est déjà une théorie de l’histoire. La continuité historique profonde du lieu qu’est Drancy pour l’histoire de la République et la nôtre ne peut apparaître que par la juxtaposition des points saillants de passés dont l’architecture est la trace et l’élaboration. Même les troncs des arbres et les coupes géologiques montrent que l’évolution n’est pas un simple écoulement, mais s’opère par couches partiellement distinctes dont le présent est l’accumulation en épaisseur.

Ensemble d’images encore, Drancy est une œuvre sur un lieu d’abord, par lequel l’histoire ensuite vient montrer sa prégnance comme trace avouée ou refoulée, trace d’un aveu ou d’un refoulement, ou trace de l’un étant trace de l’autre. Comment faire image d’un lieu ? Nouveau problème. La notion clé que propose Claire Angelini est celle de parcours. L’architecture, l’urbanisme, ne sont pas seulement des arts de l’espace : ils sont aussi des agencements de durées. La proximité de la cuisine et de la salle à manger, de la chambre et de la salle de bains, n’ont pas de signification spatiale, mais une signification temporelle : aller de là à là, mettre plus ou moins longtemps. L’idée de parcours est celle par laquelle un bâtiment est considéré comme lieu où des gens vivent, elle est aussi ce par quoi une construction est temporalisée, entre dans l’ordre de la succession. La lecture de Drancy la muette fait suivre un parcours ; elle est en fait très exactement une visite guidée, cette forme très particulière de marche collective, alternant avancées et arrêts disposés au gré du guide selon l’intérêt, visuel ou historique (ce qui était là), du point de vue. C’est ici bien sûr que la dimension ironique de Drancy apparaît peut-être au plus clair. Visite guidée de l’invisible, de l’invu ou de l’irregardable, par un guide muet, qui ne sort de son silence que par des dessins qui n’explicitent rien qu’une position (« Vous êtes ici. » déclarent dans un joli agencement de déictiques les traditionnels plans dispersés dans l’espace urbain), et l’accaparement de l’espace par la figuration topologique d’un champ visuel étrangement mou, tactile, fluide placé encore une fois dans un devenir vivant autonome.

Mais la forme du livre Drancy la muette pourrait renvoyer parallèlement à autre chose. L’alternance marquée entre doubles pages d’images sans légendes et de plans dessinés sur fond noir faisant commentaire muet replace l’ensemble dans une forme de parcours, d’avancées et d’arrêts, plus ancienne encore que la visite guidée : celle du Chemin de croix. Si la visite guidée est physiquement collective, encadrée par une autorité, le Chemin de croix est lui collectif d’être un parcours historique rejoué à l’infini, jusqu’à exactement la fin des temps. Sa singularité tient profondément à ce que sa répétition n’est pas rejouée ou représentée, mais revécue chaque fois pour la première fois dans toute sa puissance originelle, historique et intime simultanément, chaque dimension renforçant l’autre. Dispositif pictural peut-être le plus répandu dans l’Occident catholique, la suite des quatorze tableaux représentant les quatorze stations du chemin christique se rejoue comme parcours physique et spirituel pour chaque croyant, dans une profonde tension formelle entre le temps de la contemplation et l’entre-deux de la marche, la discontinuité de la série, et la continuité sous-jacente rétablie par la connaissance intime et commune du texte et de l’histoire, de la source (narrative, l’évangile) et de la glose (interprétative, du sens spirituel à accorder à ces images individuellement et dans leur ensemble).

Ce que le chemin de croix Drancy la muette désigne finalement, hors de toute métaphysique de la rédemption, c’est l’absence de ce texte commun, l’absence de récit et l’absence de glose historiques et politiques par lesquels la continuité profonde qui sous-tend la succession de ces stations pourrait être comprise, et pourrait prendre une signification commune, productrice de la « communauté qui vient ». Ce qu’elle désigne, c’est l’absence aujourd’hui de ce que le poète américain George Oppen appelait le lieu commun : un endroit d’où une parole pourrait s’échanger qui serait compréhensible, un point à partir duquel les mots sont dotés d’une signification sur laquelle nous sommes d’accord, et qui peuvent ainsi servir de base à une édification politique réelle.

La cité de la Muette, à Drancy, France, devrait être au cœur de ce lieu commun. Son nom désigne peut-être, plus ou moins consciemment, l’impossibilité historique de la fondation d’un langage sur le refoulement dont elle est la trace et l’enjeu. Il doit rester malgré tout la possibilité, que l’œuvre de Claire Angelini excave, de voir dans ce silence le point de départ possible d’une refondation. Ou plutôt, pour l’heure, de construire la possibilité d’une refondation à partir de ce silence, de la construire non comme utopie, mais comme problème.

Benoît Turquety, extrait de Territorien/Zeit, galerie Christian Pixis, 2012



TEXT/Deutsch

Man könnte sogar sagen, dass die Explizitheit hier zum Thema wird: Drancy möchte gerade die Rückkehr von etwas Verdrängtem, seine Formulierung und Formwerdung sein. Geht es nicht weniger darum zu sagen, was Drancy war, sondern eher, was Drancy immer noch ist, und vor allem, was Drancy in der französischen Geschichte gewesen sein wird? Das wirft genau so ein Problem auf, dessen Lösung wahrscheinlich unerreichbar und unaussprechlich (der Sprache unzugänglich) ist, aber dessen Artikulation als Problem eine wichtige politische Aufgabe darstellt.

Claire Angelinis Ansatz ist nicht filmisch, aber arbeitet mit Film. Die rein materielle Gestalt des Ziehharmonika-Buchs, des Buches als Objekt, das den Vorteil hat, aufrecht zu stehen, ist ein Problem für den Leser, der ans Umblättern gewöhnt ist, (« die Praxis des Lesens » von der  Mallarmé schrieb), und zwischen Seite und Streifen versucht ist, alles auf einmal zu entfalten, um es in seiner Gesamtheit, wiederum wie eine Landschaft, mit dem Blick erfassen zu können. Es gibt mehrere Modelle in der Geschichte des Falt-Buchs. Allgemein bekannt ist das zerlegbare Ansichtskarten-Leporello, bei dem jedes Bild theoretisch eigenständig und durch einen vorgestanzten Falz vom nächsten getrennt ist. Das Ganze zeigt ausgewählte Ansichten auf touristische Stätten des besichtigten Ortes, deren Nummerierung der Logik eines Parcours folgt. Ein anderes Modell ist das im 19. Jahrhundert verbreitete Panorama-Buch, ein «Folgeerzeugnis» anlässlich der Besichtigung eines dieser riesigen Rundgemälde, in deren Mitte der Betrachter eine Landschaft in 360°-Perspektive ansah, welche geografisch, ländlich, städtisch (London from the Roof of the Albion Mills), oder  historisch (Die Schlacht vom 19. Januar 1871 während der Belagerung von Paris) sein konnte. Diese Bücher gab es in zwei Ausführungen. Entweder sie reproduzierten das gesamte Panorama auf einem Papierstreifen zum Ausbreiten oder sie ergänzten das Panorama-Erlebnis um Zusatzinformationen: Karten der Schlacht, Erläuterungen zum Panorama und geschichtliche Fakten (im letzteren Fall kann die eigentliche Form des Buches mehr oder weniger komplex sein – eingefügte Karten zum Auseinanderfalten, usw. –, aber a priori ist es kein Leporello).

Drancy la Muette setzt die verschiedenen Ausprägungen des Ziehharmonika-Buchs in einer bestimmten Montage-Technik zusammen und nutzt dabei ihre Spannung aus. Spannung zwischen der Einheit einer Seite, – im vorliegenden Fall eine Doppelseite wie in Mallarmés Poem Ein Würfelwurf (Coup de dés), und der Einheit, die der Streifen in seiner Gesamtheit bildet. Eine Spannung, die sich im Wechselspiel zwischen fotografischen Bildern und Zeichnungen, ja zwischen Bild und Text aufbaut. Der Bildstreifen selbst ist eine durchgängige Montage aus Fotografien, wovon jede einen Abschnitt unterschiedlicher Breite einnimmt (aber über die gesamte Höhe des Streifens) und an ihre jeweils Benachbarte ohne jeglichen Rahmen oder zwischenbildliches Intervall anschließt. Eine kontinuierliche Montage, die jedoch vom nicht-kontinuierlichen  Bildmaterial geprägt ist, das sich aus unterschiedlichen Quellen speist: Schwarz und Weiß und Farbe, von der Künstlerin aufgenommene Fotografien und Archivbilder, von denen einige ihr Raster aufzeigen, wodurch die geschichtliche Reise des Mediums im Bild enthüllt wird, vom analogen Film zu Video, Digitalfotografie und Papierausdruck, usw.

Folglich baut das Faltblatt Drancy la Muette durch die nicht zusammenfallende Doppelmontage von Fugen und Falten eine formelle Spannung auf mehreren übereinandergeschichteten Ebenen zwischen Kontinuität und Diskontinuität auf, was schon für sich genommen eine Geschichtstheorie ist. Die tiefengeschichtliche Kontinuität des Ortes Drancy für die Geschichte der Republik und für unsere Geschichte wird einzig durch das Nebeneinander der überstehenden Stellen aus Vergangenheiten sichtbar gemacht, deren Architektur gleichzeitig Spur und Ausformung ist. Sogar Baumstämme und geologische Schnitte zeigen, dass Evolution kein einfaches Dahinfließen ist, sondern in teilweise verschiedenen Schichten vor sich geht, wobei Gegenwart eine Akkumulierung von Dichte darstellt.

Als Gesamtheit von Bildern ist Drancy zunächst ein Werk über einen Ort. An diesem zeigt dann die Geschichte ihr Geprägt-Sein als zugegebene oder verdrängte Spur: Spur von Geständnis oder Verdrängung oder auch gegenseitige Durchdringung beider Spuren. Wie wird ein Ort zum Bild? Ein neues Problem. Der Schlüsselbegriff, den Claire Angelini dazu liefert, ist der des Parcours. Architektur und Städtebau sind nicht nur Künste im Raum: beide sind auch Anordnungen von Dauer. Die Nähe von Küche und Esszimmer, von Schlafzimmer und Bad, haben keine räumliche Bedeutung, aber eine zeitliche: von hier nach da gehen, mehr oder weniger Zeit dafür brauchen. Die Idee des Parcours bestimmt die Zuordnung eines Gebäudes zu einem Ort, an dem die Leute leben,  sie entscheidet auch über die Zeitstruktur eines Bauwerks und berücksichtigt die Aufeinanderfolge. Der Akt des Lesens von Drancy la Muette folgt einem Parcours ; genau genommen ist er ein geführter Rundgang, diese eigentümliche Art und Weise der kollektiven Fortbewegung, wo abwechselndes Weitergehen und Haltmachen vom Gutdünken eines Reiseführers bestimmt werden, und zwar je nach bildlichem oder geschichtlichem Interesse (was an der Stelle war) und dem jeweiligen Standpunkt. An der Stelle tritt das ironische Ausmaß von Drancy am deutlichsten hervor. Geführte Besichtigung des Unsichtbaren, Nicht-Gesehenen oder Unansehlichen mit einem stummen Reiseführer, der seinen stillen Posten höchstens durch Zeichnungen verlässt, die nicht mehr als eine Position erklären (« Ihr Standort » verkünden die traditionellen Lagebeschreibungen hübsch angeordnet auf den im urbanen Raum aufgestellten Stadtplänen), und die Vereinnahmung des Raums durch die topologische Darstellung eines seltsam aufgeweichten, fühlbaren und fließenden Blickfelds, das erneut in einem lebendigen, eigenständigen Werden begriffen ist.

Aber die Form des Buches Drancy la Muette könnte gleichzeitig auch an etwas anderes erinnern. Das auffällige Abwechseln zwischen Doppelseiten mit Bildern ohne Legende und gezeichneten, stumme Kommentare abgebenden Übersichten stellen das Ganze in den Zusammenhang eines noch älteren Parcours von Weitergehen und Innehalten: den des Kreuzwegs. Wo der geführte Rundgang eine von einer Autoritätsperson begleitete körperliche Gemeinschaft bildet, schafft der Kreuzweg eine von einem historischen Parcours bestimmte Gemeinschaft, der unendlich, ja bis ans Ende der Zeit, wieder und wieder durchgespielt wird. Seine Besonderheit liegt gerade darin, dass die Wiederholung nicht nachgespielt oder nachgestellt, sondern jedes Mal in  seiner ganzen ursprünglichen, geschichtlichen und intimen Macht gleichzeitig neu erlebt wird, wobei sich die jeweiligen Dimensionen gegenseitig verstärken. Die Abfolge der vierzehn, den Weg Christi darstellenden Stationen ist vielleicht das verbreiteste Bildgefüge des katholischen Okzidents und wird als körperlicher und geistiger Parcours jedes Gläubigen neu durchgespielt. Dies geschieht in einer tiefen formellen Spannung zwischen der Zeit der Versenkung und der Zwischenzeit des Gehens, der Diskontinuität der Serie und der unterschwelligen Kontinuität, die wieder hergestellt wird durch die genaue und gemeinsame Kenntnis des Texts und der Geschichte, der Quelle (narrativisch, das Evangelium) und der Auslegung (interpretatorisch, der geistige Sinn, der diesen Bildern einzeln und in ihrer Gesamtheit zugeschrieben wird).


Dieser Kreuzweg Drancy la Muette verweist letztendlich, frei von jeglicher Erlösungs-Metaphysik auf die Abwesenheit dieses gemeinsamen Textes, die Abwesenheit des Erzählerischen und die Abwesenheit historischer oder politischer Auslegung, die als tieferer Zusammenhang der Aufeinanderfolge dieser Stationen verstanden werden und eine gemeinsame Bedeutung als Herausbildung einer « kommenden Gemeinschaft » annehmen könnte. Eine solche Abwesenheit verweist auf die heutige Abwesenheit des Gemeinplatzes, wie ihn der amerikanische Dichter George Oppen nannte: einen Ort, von dem eine verständliche Sprache des Austauschs ausgehen könnte, einen Punkt, von dem aus die Wörter eine Bedeutung haben, mit der wir einverstanden sind, und die so die Basis zu einem wirklichen politischen Aufbau werden.

Die Vorstadt « La cité de la Muette », in Drancy, Frankreich, sollte im Herzen dieses Gemeinplatzes liegen. Die Stummheit («muet ») im Namen verweist vielleicht mehr oder weniger bewusst auf die geschichtliche Unmöglichkeit, eine Sprache auf der Verdrängung aufzubauen, deren Spur und Herausforderung sie ist.  Trotz allem bleibt da doch die Möglichkeit, die Claire Angelinis Werk aushebt, in dieser Stille den möglichen Anfangspunkt einer Neugründung zu sehen. Oder eher momentan die Möglichkeit einer Neugründung von diesem Schweigen ausgehend zu schaffen, sie nicht als Utopie entstehen zu lassen, sondern als Problem.


Benoît Turquety, aus Territorien/Zeit, galerie Christian Pixis, 2012

(Aus dem Französischen von Birgit Leib, mimikri media






















UNE CONSTELLATION

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Drancy, point aveugle de la mémoire française, est un lieu où se chevauchent telles des plaques tectoniques en travail, des enjeux liés à l’architecture, la mémoire, l’histoire, la politique.

Le projet, qui englobe des formes aussi différentes que le livre, la performance, le dessin, le son, etc, offre une constellation de propositions menées singulièrement ou collectivement, afin de féconder un débat d’idées, de pensées, de formes.


EDITION

Drancy la Muette, édition, est un projet de collaboration entre deux artistes, Claire Angelini et Yannick Haenel. L’effet cinétique du montage par collision de temporalités est ici obtenu dans le jeu des pages à tourner, et la proposition s’accompagne d’une série de dessins analytiques permettant d’immédiats repérages dans l’espace ainsi que le couplage de chaque composition graphique avec une légende en permettant l’identification précise.

Le texte est composé de 14 fragments pouvant être appréhendés comme autant de chapitres qui constituent dans leur ensemble une méditation personnelle sur la localisation de ce qu’Haenel qualifie «d’infamie française».

Ce dispositif à double entrée, qui fait du livre un objet à la fois littéraire et visuel autant qu’un essai politique à quatre mains, est destiné à sa circulation dans la société civile contemporaine.


« Ceci est un livre d’histoire un peu particulier. Les faits, les dates, les archives ne suffisent pas : quelque chose ouvre ces

temporalités qu’on n’a pas vécues. L’Histoire est vivante, et nos corps portent en eux des perceptions intimes du passé ; ce sont elles qui trament chaque instant de notre présent. Regardez ces images, ouvrez les yeux sur Drancy la muette. Vous croyez que ce lieu ne parle pas, que les murs sont muets,

le passé silencieux, le présent indéchiffrable ? Écoutez ces images: alors, vous verrez. »

Yannick Haenel


INSTALLATION


Jouant sur la contiguité des vues, qui crée le sentiment d’une suite temporelle, et partant, d’une narration, le livre-film déroule dans l’accomplissement d’une promenade virtuelle la vision de la proposition architecturale moderniste originaire de Beaudoin et Lods telle qu’elle se présente aujourd’hui dans l’espace et le temps, tandis qu’en vis à vis de ces premières images – qui sont autant de points de vue détaillant l’architecture – un deuxième corpus surgit au fil des pages monté cut avec le premier – extraits fragmentaires recadrés et re-photographiés ressortissant à l’archive historique du Mémorial de la Shoah – destiné à infléchir ou compléter cette approche princeps du lieu.

Ainsi se forme une composition de temps dans l’économie plastique de chaque page (32 cm x 85 cm), que les pliures permettent de moduler (agrandissements par étirement, raccourcissements par resserrement) dans l’espace de monstration. Tel un film mis à plat, l’objet proposé s’offre comme ce qui s’appréhende d’un seul coup d’œil comme bloc de plans simultanés, un ensemble que le temps aurait gelé d’un coup et qui substitue au déroulement temporel du cinéma la somme fixée sur papier d’un ensemble d’informations visuelles contradictoires.

Car l’enjeu du projet est bien sûr aussi la mise en travail du temps, c’est-à-dire une présentification des couches et des strates que porte l’histoire du lieu; pas de successivité donc, mais une insistance apportée à la co-présence dans la fabrication et la monstration du livre-film en tant que dispositif de « mise en regard ». On ne demande pas ici au spectateur de mettre en mouvement les images, de manipuler un support pour obtenir des effets différentiels (comme le fait par ailleurs l’édition – Drancy la Muette – du projet) ; on lui donne à voir un mouvement signifié par le déroulement – au long d’une page longue de 50 m – ordonné au long d’une suite apparentée formellement au langage filmique du montage cinéma (champs, contrechamps, gros plans, relations et tensions entre les fragments visuels proposés.)

Une série de dessins scande ce temps visuel singulier qui donne corps à une friction explosive entre les usages successifs de l’architecture, tel un deuxième espace creusé au sein même de bande-image : un système graphique de repérages proposé au spectateur pour lui permettre de se déplacer au sein du travail de coupe et de relation entre les époques, rendu à l’intérieur du schéma architectural de la Muette – le bâtiment sous ses différents angles – sous la forme d’un enchevêtrement de points de regards.



Drancy La Muette

1 Dans Drancy La Muette, Claire Angelini, artiste et cinéaste, s’attaque à une question qu’on pourrait résumer ainsi : que voit-on aujourd’hui d’un camp de concentration quand celui-ci n’est pas transformé en mémorial ? « Tu n’as rien vu à Hiroshima », faisait dire Marguerite Duras à l’un de ses personnages. Or que voit-on de cette cité de la Muette (cité, cécité, muette : quelle faillite des sens !!) à Drancy qui fut construite dans les années 1930 pour loger le trop plein populaire de Paris, mais qui, avant même son achèvement, fut convertie en un camp de concentration d’où partirent pour Auschwitz, entre 1941 et 1944, près de 80 000 Juifs ? Et qui, depuis la fin de la guerre, est un ensemble d’immeubles de logements. Tentant d’établir une véritable instance scopique qui servirait de socle à la mémoire, Claire Angelini réunit les photographies qu’elle a prises du site actuel, confrontées à des images anciennes, pour l’essentiel trouvées dans les archives du Mémorial de la Shoah. Elle y ajoute une série de plans/ croquis, des dessins qui lui servent à localiser les clichés et à leur trouver un point de vue. Le relatif échec du résultat (on n’y comprend pas grand chose au premier regard) constitue peut-être la réussite de l’entreprise, à savoir le constat de l’extrême fragilité des traces (matérielles et mémorielles). 2 L’ouvrage débute par un texte haletant, presque halluciné, de Yannick Haenel, magnifique à maints égards, où il défend la thèse selon laquelle Drancy n’est en rien un accident de l’histoire, mais plutôt un symptôme de ce qu’il nomme « l’infamie française », la propension de ce pays à suspendre le droit au bénéfice du crime, à « liquider ses indésirables ». Et d’établir le parallèle entre les camps de concentration (près de 200 entre 1938 et 1946 dont, malgré le travail des chercheurs mais aussi des artistes - Delphine de Blic, Tania Mouraud - on continue à feindre l’oubli) et les actuels centres de rétention pour immigrés « sans-papiers ». L’ouvrage entier, remarquablement édité, fait oeuvre : complexe et dérangeante, nécessaire.

Jean-Marc Huitorel, Critique d’art

http://critiquedart.revues.org/13330

Drancy la muette

par Cécile Guérin

Entretien avec Yannick Haenel


Vous portez un regard très sévère sur l'évolution de la cité la Muette et sur l'abandon dont elle fait l'objet. Diriez-vous que votre livre revêt une dimension politique, ou du moins critique ?

Je me suis très simplement demandé comment il a été possible, après la guerre, qu'on reloge des gens à l'endroit même où d'autres avaient été internés - comment - par quelle décision - on passe du camp au logement d'habitation. Est-ce que ça a eu lieu comme si de rien n'était ?

Il se trouve qu'à Drancy, précisément, il n'y a rien à voir. Je le dis en pensant à la phrase de Duras : « Tu n'as rien vu à Hiroshima ». Ce « rien » ne signifie pas qu'on ne peut pas voir - car la « réalité » n'est jamais seulement visible - ; c'est un « rien » qui défie la visibilité, mais invite à une archéologie. Comme l'écrit Georges Didi-Huberman : « Regarder les choses d'un point de vue archéologique, c'est comparer ce que nous voyons au présent, qui a survécu, avec ce que nous savons avoir disparu. »

Le montage d'images d'archives et de photographies contemporaines auquel procède Claire Angelini dans la cité de La Muette est à cet égard extrêmement frappant. Notre réflexion, à elle et moi, porte sur la coïncidence, à travers ce lieu, de trois procédures : bâtir, interner, loger - sur leur continuité inavouable, qui fait communiquer l'univers concentrationnaire et la banlieue. La banlieue - est le lieu qui est au ban - et dans le ban se rejoue la violence qui fonde toute société. À Drancy, la cité de La Muette témoigne, à travers le temps, d'étranges opérations de dépeuplement et de repeuplement.

Je ne pense pas porter un regard sévère sur la cité de la Muette qui - la pauvre - n'y est, précisément, pour rien. Que le camp soit introuvable n'est pas le problème. Documenter l'absence, c'est la moindre des choses. Mais il s'agit surtout d'essayer de voir ce qu'on ne peut pas voir. C'est pourquoi je suis si critique avec l'histoire historiciste, qui se contente de la réalité des faits, lesquels relèvent toujours de la construction incomplète.

Le « montage » d'images d'archives et de photographies contemporaines réalisé par Claire Angelini semble renforcer l'impression d'un recouvrement de la mémoire et rend immédiatement visible le passage d'une époque à une autre, de l'univers concentrationnaire à celui de la banlieue. La dialectique entre texte et images permet-elle selon vous de rendre l'histoire plus lisible ? 

Absolument, c'est pourquoi ce livre, selon nous, est un livre d'histoire. Claire Angelini est une artiste, son art s'exerce à la confluence de la photographie et du du cinéma. Son art est avant tout critique : il essaie de désensorceller les images (celles du passé, qui sont figées dans l'histoire ; celles du présent, qui sont parasitées par le conditionnement qui les expose). Déplier des temporalités, disposer des échos, traquer des continuités inavouables - tout ce travail de l'hétérogénéité, hérité, entre autres, de Walter Benjamin et de Bertolt Brecht, vise à trouver ce point critique à partir duquel les images, travaillées les unes par les autres, accèdent à une nouvelle lisibilité.

Drancy la muette se situe au croisement de plusieurs genres, dont la photographie, le croquis, mais aussi le cinéma avec la technique du cut. Ces différents matériaux, alliés à l'écriture, sont-ils autant de moyens pour vous de combler les lacunes de l'histoire?

Je le crois. Le montage recèle un savoir. Ce savoir n'existe pas seul. C'est lors d'une projection de La Passagère - ce film d'Andrzej Munk (1963) qui tente l'impensable : construire une fiction à partir d'Auschwitz -, que Claire Angelini m'a proposé de voir le travail qu'elle effectuait depuis quelque temps sur Drancy. Je venais de publier Jan Karski. Il me semblait logique de poursuivre mon enquête sur les impacts de l'extermination avec quelqu'un qui cherchait, elle aussi, à faire parler ce qui ne peut se dire. Claire Angelini n'a peur de rien ; elle ne se laisse  enfermer dans aucune pratique artistique, dans aucun discours de vérité : ce livre répond à l'idée qu'un lieu comme Drancy exige des perceptions multiples, et qu'il déconstruit l'idée même de regard. Ni le regard historique, ni le regard architectural, ni même le regard artistique ou intellectuel ne suffisent à saisir ce qui relève d'une topographie disloquée ; il faut mettre en jeu simultanément tous ces regards, si bien que l'étrange objet qui s'appelle Drancy la muette, en proposant cette constellation d'images, de croquis, et de textes qui eux-mêmes sont partagés entre différentes voix, échappe aux genres et devient, au sens le plus absolu, un livre politique.


Drancy la muette, par Cécile Guérin, Entretien avec Yannick Haenel 


Revue Transfuge, juillet 2013, extrait.

Détails de l’installation, exposition Livres uniks 2, Espace  Topographie de l’art, 2015.

Photographies courtesy Catherine Rebois.

Détails de l’installation, exposition Livres uniks 2, Espace  Topographie de l’art, 2015.

Photographies courtesy Catherine Rebois.

Détails de l’installation, exposition Archive /Déplier l’histoire, ISELP , partenariat avec l’Agence Lescaut, Bruxelles, 2014.