claire angelini – hier liegt/instal

 
HIER LIEGT DIE GRENZE DES PÄDAGOGISCHEN BEMÜHENS / HERE THE PEDAGOGICAL EFFORT HAS REACHED ITS LIMIT
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« Humain trop humain »

par Rémi Néri


La presse allemande bruit depuis quelques semaines de la fausse question « fallait-il, pouvait-on, montrer dans un film les 12 derniers jours de Hitler et par là “humaniser” son personnage ? » La seule question est celle de la qualité du film qui, de toute évidence, est faible. Personne ne l’a comparé – relevant avant tout la performance de l’acteur suisse Bruno Ganz et celle antérieure d’Alec Guiness – au film de Sokourov, sorti il y trois ans, et qui avait précisément comme objet la vie privée de Hitler, mais abordée d’un point de vue qui ne laissait aucune ambiguïté sur son humanité ou pas. Il ne fait, en effet, pas de doute qu’il y ait de « l’humanité » dans tout criminel et même des sentiments et même de la tendresse chez une mère comme Madame Goebbels, qui empoisonna ses enfants, croyant bien faire, devant l’effondrement du Reich…(…)

Mais ces questions sont biaisées. En effet l’actualité sans cesse renouvelée du nazisme et de ce qui l’accompagna, devrait amener à s’interroger sur ses « conditions de possibilité », ses conséquences dans les comportements, les mentalités et les éventuelles prolongements de ces structures mentales, imaginaires, idéologiques façonnées alors.

C’est pourquoi on aimerait évoquer – pour son exemplarité – la démarche que deux artistes de Munich ont adoptée face à cet ensemble de problèmes, attestant de ce que le temps de l’art, fait de sédimentations, de couches, de traces, de transparences et de surimpressions est souvent plus à même de travailler en profondeur de telles questions que le discours événementiel du journalisme et peut-être même que le discours de classement de l’historien. Ou plutôt il faudrait dire que la dimension historienne que l’art s’est donnée de tant de façons depuis le XIXe siècle – de la peinture d’histoire (David) à la restitution subjective focalisée sur quelques objets ou matières (Beuys) – offre une formidable occasion de donner son volume à ce discours historique.

Un passé récalcitrant

il y a à Munich, un peu en périphérie, avant le quartier olympique construit en 1973 pour les JO, un vaste espace de collines arborisées, engazonnées, où les habitants vont courir, jouer, promener leurs chiens. Or cette colline est en fait un tumulus, elle est constituée des ruines de la ville que les bombardements de la 2e Guerre laissèrent. On évacua les gravats, les pans de maisons, les objets calcinés ou tordus en un vaste agglomérat qu’on eut l’idée, plus tard, de recouvrir et de transformer en lieu de loisir. En cachant ce qu’il était. A l’Est, en République démocratique allemande, on avait pour politique de la mémoire de laisser des traces de la guerre visibles. Y compris à Berlin. Aujourd’hui, l’Allemagne réunifiée s’est empressée de reconstruire, cacher, esthétiser, à l’aide des plus grands architectes, ces paysages urbains marqués par l’histoire.

Or la démarche artistique a notamment pour tâche de rendre perceptibles ces recouvrement de la mémoire. De rouvrir les plaies. Récemment la ville commanda une œuvre à un artiste néerlandais (Van Lieshout) destinée à orner les lieux, et celui-ci, plutôt qu’une sculpture en bronze s’élançant vers le ciel ou ramassant dans ses volutes un peu de l’espace environnant pour le ponctuer – ainsi qu’on voit maintenant sur nos places, devant les banques en particulier, l’art « abstrait » devenu bibelot d’inanité visuelle –, a bâti une sorte d’immense cabane en planches comportant un niveau que supporte des étais métalliques d’échafaudage. La cabane est surmontée d’une enseigne lumineuse comme un dancing minable avec le mot « Teutopia», elle est flanquée d’une deuxième construction qui ressemble fort à un mirador dans un camp. (…)

Ce mot valise de « teutopia », mélange utopie et teuton sans doute, il dit bien la nature mortifère d’une certaine « utopie germanique » qui s’est confondue avec une pureté destructrice.

Les deux artistes qui ont été invitées à occuper à leur gré l’espace de la cabane, ont constitué ce qu’elles appellent un « Laboratorium Geschichte », un « laboratoire pour l’histoire » à partir duquel elles réfléchissent et elles conçoivent un type de réflexion artistique sur l’histoire. Ainsi Claire Angelini et Eva Diamantstein, font-elles, à leur tour, une proposition qui pousse plus loin encore les questions ouvertes par ce lieu, cette colline et cette construction. Leur installation part de l’un des chapitres les moins connus de la politique raciale et purificatrice des nazis : l’extermination des enfants handicapés qui fut programmée, comme celle des races inférieures (juifs, slaves, tsiganes) ou des déviants politiques ou sexuels. Le choix de ce secteur-là de la « bio-politique » nazie résonne sans doute différemment pour nous aujourd’hui que ce qui touche aux victimes historiquement définies depuis Nuremberg.

La politique d’extermination des nazis à l’endroit des handicapés vient consonner ici avec l’éducation que l’on dispense aux enfants, la standardisation des esprits et le dressage social. La société normalise : on examine la viabilité des fœtus et on les élimine in vitro s’il le faut. Le rapprochement peut choquer par sa brutalité, mais il oblige à réfléchir. Demain se bornera-t-on aux handicaps lourds ? On pourra sans doute choisir le sexe ou la couleur des yeux.

L’installation, qui s’intitule « Ici s’atteint la limite de l’effort pédagogique », s’attache, sous divers aspects, à l’assassinat, entre 1941 et 1945, de 156 enfants handicapés physiques et mentaux, dont les cerveaux furent envoyés pour étude à un hôpital des environs de Munich (Eglfing Haar). Des textes – documents à lire et textes parlés – des photographies – renvoyant aux archives photographiques trouvées dans les dossiers médicaux – des objets – renvoyant de manière métonymique à la vie quotidienne des enfants et au sort que leur réserva la médecine hygiéniste forment les éléments de l’installation qui comporte en outre une série de sons – paroles, chants ou bruits.

A chacun de tirer sa propre conclusion à partir de ces questionnements violents qui se refusent à reléguer dans l’histoire passée des attitudes ou des mentalités – que modèlent des pratiques socio-politiques.

Rémi Néri, « Humain trop humain », GaucHebdo, Genève, 2004

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Comment, en faisant oeuvre dans l’espace public, inquiéter l’idéologie du lieu, véhiculée par l’histoire de cette colline qui accueillit les Jeux olympiques de 1972, et ainsi fendre l’espace, pour y réinjecter la possibilité d’un débat citoyen sur un point saillant de l’histoire européenne?

INSTALLATION ESPACE PUBLIC