claire angelini – et tu es-film
claire angelini – et tu es-film
ET TU ES DEHORS/UND RAUS BIST DU/AND OUT YOU GO
Dans Et tu es dehors, film-essai, une narration se construit où la construction de la norme et de ce qui échappe à celle-ci, thématisée par Foucault sous le concept de bio-pouvoir, cherche à s’incarner dans un montage réunissant documents et fiction. Conjugaison de réminiscences et de coïncidences, examen des sédimentations de la mémoire, éclats de temps et d’espace, tout concourt à travailler l’histoire ou plus exactement, à transformer le « sens intime du temps » en
représentation, par les moyens du cinéma.
France l 2012 I HD I Couleur I 85 minutes
Direction, cut: Claire Angelini
Original music: Aurélien Dumont
Images: Stéphane Degnieau, C.Angelini, Axel Brand
Banc-titre: Anna-Katharina Scheiddeger
Sound: Claire Angelini
Characters: the narrator (Helmut Proessl), the doctor (Jean-Marie Leleu), the nurse (Michelle Laird),
the responsable (Christine Pirard)
Original language: french, german
Subtitles: english, german
Production: Dick Laurent/Eric Deschamps and Claire Angelini Production/ CRRAV région Nord-Pas-de-Calais, Scam, Maison du film court, le Fresnoy, Studio national des Arts contemporains
Post-production: Verinet, Munich
Distribution: Heure Exquise
PROGRAMMATION
Cinéma le Kino, Villeneuve d’Asq, 2018
Cinéma Le Kino, Villeneuve d’Asq, 2016
Rétrospective, Werkstattkino, Munich, 2016
Cinéma l’Univers Mois du film documentaire Lille 2016
Fundaçao Casa de Rui Barbosa, Rio de Janeiro, Brésil 2014
EPSM Armentières, France, 2014
Werkstattkino, Munich, 2014
Cinéma Les Lobis, Cinéclub Cinéfil, Blois, 2014
Semaine asymétrique au Polygone étoilé, Marseille, 2013
Prendre son temps/ Journées d’études sur le documentaire, Heure Exquise, Mons-en-Barœul, France, 2013
Festival Die erwartete Katastrophe, Cinemathèque Metropolis, Hamburg, 2013
Festival Lacharnière, Lille, 2013
Université catholique de Lille/ CRIBED, 2013
Le Kino, Cinéma d’art et d’essai, Villeneuve d’Asq, 2013
Communales Kino, Freiburg en Bresgau, Allemagne 2013
FORUMDOC Belo Horizonte Brésil 2012
Cinemateca brasileira Sao Paolo Brésil 2012
Semaine de la Santé mentale Mars-en-Baroeul 2012
ENGLISH
Dunkirk. A man returns to his hometown. His life has crossed the „short 20th century“. In a hotel room he tries to bring the fragments of his life together.His meories resemble a caleidoscope. Beyond pieces of stories and unknown persons, he finds in the shadows and weak lights of moving images a muffled and distorted echo of his life. Memories are fragile, space-time breaks, suddenly the present becomes painfully apparent. In people at the edge of nowaday’s society he encounters his revenants. He understands that the crimes of a century from wich he could escape are based in the discourse of extinction.
In the industrial city whose heavy breathing rhythms the time, he continues his quest, and in so doing, puts to us in perspective, the being history of cinema, and the being fiction of the documentary.
FRANÇAIS
-« Je pense que la psychiatrie a toujours été politique. (…)
Elle a été l’instrument officielle du contrôle social. La loi s’est mise à décider de la personne qui rentrait comme prisonnière dans l’hôpital psychiatrique, et le médecin est devenu officiellement le délégué de la police, le délégué d’un Etat désireux de contrôler la situation des fous. (…)
Le corps social a fait usage de la psychiatrie pour contrôler la déviance sociale, et en particulier la marginalisation des pauvres. »
Franco Basaglia, Interview, 1970
(…) « il n’est pas encore suffisant d’avoir des souvenirs. Il faut pouvoir les oublier, quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore ce qu’il faut. Il faut d’abord qu’ils se confondent avec notre sang, avec notre regard, avec notre geste, il faut qu’ils perdent leurs noms et qu’ils ne puissent plus être discernés de nous-mêmes. »
Rainer Maria Rilke
SYNOPSIS
Le film s’ouvre sur le port de Dunkerque où les fumées d’usines pétrochimiques signalent un monde industriel déshumanisant et rappellent les deux guerres dont le port fut le théâtre. De retour dans sa ville de naissance, Helmut, dont la vie a traversé le « court XXe siècle », cherche dans une chambre d’hôtel, à rassembler des fragments de son passé. Un kaléidoscope d’images lui tient lieu de mémoire ; en-deçà des narrations en lambeaux et des personnages anonymes, il trouve dans les ombres et les trouées blafardes des photogrammes de films qui le traversent, les échos assourdis, déformés de sa vie : sa toute petite enfance tout d’abord, avec l’occupation allemande du nord de la France en 1917, puis Berlin, entre la République de Weimar et le début des années 30.
Mais le fil de la mémoire d’Helmut est fragile, et l’espace-temps se déchire, laissant violemment affleurer le présent. Confronté à ceux qui habitent les marges économiques, politiques et sociales du monde d’aujourd’hui, il rencontre ses doubles. Lui qui a été tour à tour l’Autre, le Déviant, le Fou, l’Etranger, le Migrant, comprend peu à peu que les crimes du siècle auxquels il a échappé s’enracinent dans un discours normatif d’élimination. D’autres réminiscences l’envahissent, collision d’images passées ou actuelles : Hartheim, château baroque de Haute-Autriche, où les discours des médecins sur “les vies indignes d’être vécues” ont pris corps dans l’extermination de fait des anormaux du IIIème Reich, le Berlin en ruines de l’après-guerre et celui d’aujourd’hui. Puis les visions d’Helmut nous entraînent à nouveau dans ce nord de la France où se convoquent d’autres moments de sa vie : dans le labyrinthe d’un grand établissement psychiatrique, le personnel qu’il a connu surgit alors du temps, pour raconter à la fois ce qui fut, et ce qui est désormais : une infirmière qui l’a soigné jadis, puis un psychiatre.
Helmut, au cours de ce voyage dans l’espace et le temps, découvre in fine dans la banlieue de Dunkerque la présence des demandeurs d’asile, ces invisibles de notre époque. Entre couloirs bruyants, portes closes, et murs tristes, la responsable du lieu l’introduit au quotidien des migrants, leur survie, les rafles, les procès.
Dans la ville industrielle à la lourde respiration rythmant les heures, Helmut, dont la mémoire travaille une histoire qui est encore et toujours la nôtre, a presque achevé sa quête et ce faisant, mis en perspective le devenir histoire du cinéma, et le devenir fiction du documentaire.
DEUSCH
Dünkirchen. Ein Mann kehrt in seine Geburtsstadt zurück. Sein Leben hat das "kurze 20. Jahrhundert" durchquert. In einem Hotelzimmer versucht er Fragmente seines Lebens zusammen zu sammeln. Seine Erinnerung ist wie ein Kaleidoskop; jenseits zerrissener Erzählungen und anonymer Figuren, findet er in den Schatten und fahlen Lichtern der Bilder aus Filmen, an die er sich erinnert, ein gedämpftes, verzerrtes Echo seines Lebens. Die Erinnerung ist zerbrechlich, die Raum-Zeit zerreißt, die Gegenwart wird plötzlich, schmerzlich sichtbar. In denjenigen, die die ökonomischen, politischen und sozialen Randzonen der heutigen Gesellschaft bewohnen, begegnet er seinen Wiedergängern. Er, der abwechselnd der Andere war, der Deviante (oder: der Abweichler), der Verrückte, der Fremde, der Ausländer, versteht nach und nach, dass die Verbrechen des Jahrhunderts, denen er entgangen ist, in einem normativen Diskurs der Auslöschung wurzeln.Im Verlauf seiner Suche in der industriellen Stadt, deren schwerer Atem die Stunden rhythmisiert, eröffnet sich uns das Geschichtewerden im Film und das Fiktivwerden des Dokumentarischen.
( Übersetzung M.Nechleba)
Quelques notes à propos de Et tu es dehors
de Claire Angelini
PAR ROSA CARON
Et tu es dehors » n’est pas un documentaire ordinaire ni une fiction, c’est un travail de recherche qui prend en compte la dimension des lieux en tant que détenteurs d’une histoire traumatique dont l’empreinte, pourtant invisible, reste indélébile.
C’est une œuvre singulière, hantologique. Elle ne se raconte pas, elle se découvre et s’éprouve. Cette œuvre est traversée de part en part de spectralité, pour reprendre un terme cher à Derrida ou, dit autrement, de traces du passé qui font retour. L’artiste suscite des faisceaux de questionnements, autour notamment de l’enfermement, de l’exclusion et de la discrimination, du pouvoir de l’homme sur l’homme, de la compulsion de répétition à l’œuvre dans l’histoire. A travers son œuvre, elle nous renvoie en creux à notre rapport complexe à l’Autre, le différent, le fou, figures de l’altérité absolue, mais aussi à l’étranger et à la part de folie qui sommeille en chacun de nous et qui nous fait courir le risque d’être un jour à notre tour exclu/enfermé. L’équivocité du titre pointe de façon ingénieuse la question des frontières et de la différence et oblige le spectateur à interroger l’espace dans lequel il se trouve.
Comme pour chacun de ses projets, l’artiste part d’un lieu, ici les hauts de France, territoires d’accueil où se côtoient aujourd’hui autant qu’hier, aujourd’hui plus qu’hier, des exilés en quête d’espoir devenu vain. Terres d’asiles aussi puisque le Nord-Pas de Calais compte pas moins de 4 hôpitaux psychiatriques (à Bailleul, Armentières, Lommelet, Saint Venant) sur son territoire, dont la logique architecturale porte la marque des conceptions du traitement de la maladie mentale. En préambule, Claire Angelini met en exergue Dunkerque, ville marquée par la déportation massive des juifs, alors même que cette déportation reste cachée. Elle en fera surgir des réminiscences à travers des symboles : pour exemples, les cheminées des usines, d’où s’échappe à l’infini de longues traînées de fumée, la grisaille, l’atmosphère sombre et pesante qui peine à se renouveler, le récit du narrateur.
Claire Angelini promène sa caméra sur plusieurs plans, d’un lieu à l’autre, du passé au présent dans un déroulé qui est en décalage avec le temps de notre modernité. Elle suscite l’attention en s’arrêtant sur des espaces, sur des objets apparemment anecdotiques : des portes condamnées, des ruines, des dalles de béton qui bouchent des sols béants, des fenêtres à peine entrouvertes, autant d’objets qu’elle fait advenir au rang d’archives et qu’elle fait parler. Ils disent alors au spectateur qui accepte de les regarder autrement, les tempêtes du passé qu’aucune restauration n’a permis d’élaborer, ils disent les évènements qui se sont incrustés et qui, en défaut d’élaboration, résistent à l’oubli, ils disent les marques des traumatismes vécus dans la solitude et la plus grande indifférence.
Si l’artiste met en tension la tragédie humaine qui traverse et bouleverse l’histoire, les lieux, les sociétés, elle ne se substitue pas à la conscience collective. Elle convoque dans un montage subtil voire subversif, à partir de matériaux artistiques, de témoignages et de composantes esthétiques qui lui sont propres, la sensibilité de chaque spectateur, porteur d’une histoire subjective, pour peu qu’il se décale d’une position d’extériorité pour changer de point de vue, au sens littéral du terme. C’est une véritable interpellation de Claire Angelini, dont l’art engage le regard et l’écoute grâce à la puissance immersive des images, des sons et des témoignages. C’est à cette condition que le spectateur pourra se confronter à l’œuvre et qu’il acceptera de s’aventurer, à partir de ce qui fait résonance en lui, sur les pas d’une histoire collective qui lui permettra de reconsidérer sa propre histoire. En d’autres termes, Claire Angelini suscite, à travers la subjectivité de chacun, la part d’universalité qui est en lui.
Pour en comprendre la portée, le spectateur ne peut regarder cette œuvre cinématographique de façon linéaire, dans une vectorisation temporelle habituelle. Ce que Claire Angelini crée, défie les lois de la chronologie et de la continuité. Ainsi, la finesse de sa démarche ne peut se saisir que dans l’après-coup. La notion d’après-coup est d’ailleurs très importante, mise en évidence par des allers et retours parfois inattendus entre présent et passé, entre l’ici et l’ailleurs, entre l’Autre et moi, entre témoignages et documents d’archives, entre fragments de narration et images architecturales qui portent en elles, malgré l’usure du temps, les fantômes du passé. Ces scènes s’entremêlent dans une logique qui s’apparente à celle d’une temporalité psychique laissée en errance, ou à celle de la mémoire prise dans les mailles du refoulement. Le spectateur, traversé par un sentiment d’inquiétante étrangeté, se voit sollicité dans ce qu’il a de plus ordinaire en lui mais aussi de plus enfoui. Et ce n’est certes pas anodin, qu’il découvre cette œuvre par l’entremise de brouhahas lointains, des voix enfantines, que l’on peut entendre comme rires de l’insouciance, en un temps, celui de l’enfance, qui est le point d’ancrage des souvenirs et des signifiants fondamentaux qui marquent l’histoire de chacun.
Claire Angelini convoque également dans son dispositif, un narrateur en quête de son histoire qu’il rassemble par bribes en retrouvant les lieux de son passé, histoire lacunaire, histoire déformée dont la mise en récit tisse le fil de l’œuvre de Claire Angelini. Le narrateur donne voix à des phénomènes historiques qui permettent à ses souvenirs d’émerger et de reconstruire le passé traumatique au prisme du présent. On le sait, la trace d’évènements signifiants fait toujours retour au hasard d’un travail de la mémoire sur les terres de l’enfance.
Mais le récit du narrateur vient s’emboîter dans d’autres histoires dans lesquelles il est tour à tour acteur et spectateur, ce qui le met presque en position de double vis à vis des spectateurs que nous sommes. En tant que double, il peut nous être étrangement familier.
Et si le spectateur se laisse aller à ses propres associations, alors sans doute appréhendera-t-il cette œuvre de Claire Angelini, comme on appréhende un rêve qui feint souvent d’organiser une certaine forme de textualité entre documentaire et fiction. Pour en saisir la puissance et le contenu latent, il pourra articuler à ses propres signifiants, les symboles posés ici et là par Claire Angelini. Il y retrouvera les 4 opérations décrites par Freud qui interviennent dans le travail du rêve qui appelle toujours un travail de la mémoire : la condensation, à travers certaines composantes esthétiques, le déplacement, la figurabilité et l’élaboration secondaire. Sans oublier, évidemment, la métaphore et la métonymie, autres figures topologiques présentes dans l’œuvre de Claire Angelini. Ces figures sont particulièrement saisissantes notamment lors des coupures qu’elle instaure entre l’image et le son, entre images visuelles/représentations de choses et images acoustiques/représentations de mots. Des coupures qui opèrent comme autant de scansions.
Rosa Caron, psychanalyste, MCF-HDR en psychopathologie, Lille3/Paris Diderot
M = M = M
par Benoît Turquety
« J’y suis passé et ne l’oublierai pas. »
Antonin Artaud, Aliénation et magie noire (1946)
En septembre 1962, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub tournaient leur premier film, Machorka-Muff. Le film était mené par la rage : rage devant le réarmement de l’Allemagne, rage devant l’effarante continuité de l’histoire, devant tout ce qui restait en place du nazisme dans l’Allemagne d’après-guerre. Le film était implacable, et assez joyeux. Jean-Marie Straub le disait basé sur une équation : M = M. Elle signifiait Militär = Mörder, militaires = meurtriers ; mais elle était aussi un hommage au film de Fritz Lang, M, dont une version fut titrée Die Mörder sind unter uns, les meurtriers sont parmi nous. M est un film difficile, somptueux et terrible, et l’un de ceux qui produisit le plus de mémoire, de souvenirs, d’histoire. M ne cesse jamais de faire retour, comme le refoulé. Godard encore dans les Histoire(s) du cinéma reviendra à M comme à ce moment incompréhensible du croisement de l’histoire du cinéma et de celle du vingtième siècle : comment se fait-il que le cinéma n’a pas empêché la catastrophe alors qu’il aurait dû le pouvoir, alors que « pourtant des films avaient été faits » ? M avait été fait. Mais le cinéma n’a rien changé.
Militaires, meurtriers, M. Claire Angelini est menée elle aussi par une rage, rage devant les continuités qui ne cessent de se prolonger et de se refaire, devant les situations qui se répètent à l’infini comme dans des miroirs, jusqu’à la nausée (« La nausée est un malaise noble », disait Alexandre dans la Maman et la putain, « ce n’est pas le nom qui convient à cette poussière, à cette honte qui reste dans ma gorge… »). Et tu es dehors dit cela : tout continue, ça ne s’arrête jamais. M = M = M = M… Militaires, meurtriers, médecins, mémoire, M le maudit ou M. ce patient traité par le Dr. Bertrand dans le film, migrants enfin, M.
Mais Et tu es dehors n’est ni Machorka-Muff, ni M – notamment parce que la mémoire n’était ni le problème de Huillet et Straub, ni celui de Lang. Dans le film de Claire Angelini, un homme dont on ne connaît pas le nom raconte son histoire, ou plutôt tente de la reconstruire, avec le cinéma. Car sa vie est le vingtième siècle, et que les images qui lui restent sont des images de cinéma – « C’est en revoyant des films que je me suis souvenu de ma jeunesse », dit-il. M surtout, Allemagne année zéro aussi, et d’autres encore. Des images citées ici et qui sont inscrites profondément en nous comme des souvenirs de nos vies propres, souvenirs d’expériences par lesquelles nos mémoires ne sont pas seulement individuelles, mais collectives, historiques. La mémoire pourtant n’est pas l’histoire. Le narrateur se trouve finalement confronté à cela : la mémoire sélectionne – ce que d’un côté elle incorpore, ce que de l’autre elle rejette –, et dans ce choix, elle n’est pas maîtresse dans sa propre maison.
Est-ce cela qui a poussé Claire Angelini à donner à Et tu es dehors l’allure de la fiction ? On le sait, l’art – et peut-être principalement, ainsi qu’ont pu le formuler, après Adorno, Godard ou Lanzmann – est depuis l’extermination nazie confronté à l’existence d’un point aveugle, invisible ou irregardable, dans l’histoire. Tout film se confrontant à cette question en vient à devoir poser le problème de l’étendue de ce trou noir, de ce que l’on ne peut dire ou montrer, de ce que l’on ne peut entendre ou voir – de ce que l’on doit, aussi. Le film de Claire Angelini touche plusieurs fois à l’intolérable, à l’impensable, à l’impossible. Intolérable absolu des propos des « médecins » de l’Institut Kaiser-Wilhelm. Inimaginable des faits qui se déroulèrent dans le si beau château renaissant de Hartheim. Rien ne nous en sera montré, sinon des fragments presque abstraits d’images de M défilant l’une après l’autre sur une table de montage, en très gros plan. Le grain, le noir et blanc, le recadrage, et surtout l’effet de désagrégation infiniment répétée que produit le passage ralenti du miroir remplaçant un photogramme par le suivant, retour du grain à la poussière, rendent ces images à la pure terreur dont elles proviennent – pire que le Cri de Munch, auquel le ballon s’envolant dans les fils électriques finit par ressembler.
Intolérable aussi des continuités que construit le film : la psychiatrie comme continuation de l’eugénisme – l’enfermement, la déshumanisation, l’indignité, et l’insistance sur les douches collectives qui viennent à caractériser cette chose qui fut nommée asile comme finalement un camp. La fenêtre de la chambre d’hôtel d’où parle le narrateur, fenêtre qui forme le support de sa parole, se décline ici en fenêtres à barreaux ou verre martelé, carrelages jaunes et verdâtres, radiateurs et peintures craquelées, portes closes et sons de prisons, toute l’obsédante géométrie de l’enfermement, à laquelle viennent participer les écrans dont la présence (écrans de cinéma, écrans d’ordinateurs montrant les lieux pendant que le protagoniste, infirmière, psychiatre ou « responsable », en décrit l’ignominie) devient obsédante. Le cinéma construit la mémoire en opposant aussi l’image à la parole, image produisant en retour cette parole, rideaux de fenêtre ou arbre étêté de parc hospitalier.
Il y eut bien sûr, rappelle le film, l’anti-psychiatrie, acte de résistance, rappelant que n’est fou que celui que la société ne veut pas voir (« S’il n’y avait pas eu de médecins il n’y aurait jamais eu de malades, car c’est par les médecins et non par les malades que la société a commencé », écrivait Artaud). Mais la continuité ne s’arrête pas là. C’est finalement dans les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile (asile : étrangeté des circulations du vocabulaire), enfermés dans les camps de rétention, que le narrateur va trouver le dernier effet de miroir. Peu d’actes de résistance encore semblent vouloir chercher à sauver ces migrants, déplacés encore, enfermés encore – peu sinon ce qui passe dans les mots et dans le regard surtout de cette femme, ce personnage, Nathalie. De beaux plans serrés sur son visage presque immobile la montrent regardant un écran que l’on ne voit pas, mais que l’on devine. Passent dans le regard de Nathalie dans ces plans – ou surtout dans celui de Christine Pirard qui l’incarne, mais là ne joue pas – honte, colère, stupéfaction, détermination. Ce regard s’inscrit profondément, avec les paroles de ces témoins de fiction, comme ce qui reste contre la « honte d’être un homme » dont Gilles Deleuze avait souligné l’importance dans les écrits de Primo Levi. « Si on n’éprouve pas cette honte il n’y a pas de raison de faire de l’art », disait Deleuze. Cette honte-là est sans doute le centre de Et tu es dehors.
« Ces migrants », dit le narrateur dont nous découvrons enfin le visage émergeant à peine d’une pénombre, « me parlent de moi par le simple fait de leur présence ». Ils rejouent l’histoire une nouvelle fois, la seule histoire qu’il vaille peut-être de raconter, celle aussi que l’on ne peut pas dire, celle des étrangers, des fous, des handicapés, des indésirables. Suis-je capable moi aussi, spectateur, comme ce vieil homme qui raconte le film de sa voix douce, d’affirmer que les migrants intolérablement expulsés du pays dont je parle la langue me parlent de moi ? Migrants, moi. M = M = M.
PORTUGUÊS
M = M = M
Benoit Turquety
Tradução Claudio Reis e Raquel Imanishi
“Eu passei por lá e não o esquecerei”
Antonin Artaud, Alienação e magia negra (1946)
Em setembro de 1962, Daniele Huillet e Jean-Marie Straub rodaram seu primeiro filme, Machorka-Muff. O filme era conduzido pela raiva: raiva pelo rearmamento da Alemanha, raiva pela assombrosa continuidade da história, raiva por tudo o que restava do nazismo na Alemanha do pós-guerra. O filme era implacável e bastante alegre. Jean-Marie dizia isso tendo por base uma equação: M = M. Isso significava: Militar = Mörder, militares = matadores, mas era também uma homenagem ao filme de Fritz Lang, M, que, em uma de suas versões, foi intitulado Die Mörder sind unter uns, os assassinos estão entre nós. M é um filme difícil, suntuoso e terrível, e um daqueles que produz mais memórias – mais lembranças, mais história. M não nunca pára de retornar, como o reprimido. Godard mesmo nas História(s) do cinema voltará a M como o momento incompreensível em que se cruzam a história do cinema e a história do século XX: como o cinema não impediu a catástrofe quando poderia tê-lo feito, já que “filmes no entanto tinham sido feitos”? M tinha sido feito. Mas o cinema não mudou nada.
Militares, matadores, M. Claire Angelini também é conduzida pela raiva: raiva diante das continuidades que não param de se prolongar e refazer, diante de situações que se repetem ao infinito, como em espelhos, até a náusea (“A náusea é um mal-estar nobre”, dizia Alexandre em La Maman et la putain [Mamãe e a puta], “não é o nome que convém a essa poeira, a essa vergonha que permanece em minha garganta...”). Et tu es dehors diz isso: tudo continua, isso não pára nunca. M = M = M = M ... Militares, matadores, médicos, memória, M o maldito ou M., esse paciente tratado pelo Dr. Bertrand no filme; migrantes, enfim, M.
Mas Et tu es dehors não é nem Machorka-Muff nem M – principalmente porque a memória não era o problema de Huillet e Straub, nem o de Lang. No filme de Claire Angelini, um homem cujo nome não conhecemos conta sua história, ou antes tenta reconstruí-la com o cinema. Pois sua vida é o século XX e as imagens que lhe restam são imagens de cinema. “É revendo filmes que me lembrei de minha juventude”, diz ele – revendo M sobretudo, mas também Alemanha ano zero e tantos outros. Imagens aqui citadas e que estão inscritas profundamente dentro nós, como lembranças de nossas próprias vidas – lembranças de experiências em que nossas memórias não são apenas individuais, mas coletivas, históricas. A memória, porém, não é a história. E a isso se encontra por fim confrontado o narrador do filme: a memória seleciona – incorpora de um lado, rejeita de outro – e nessa escolha não é mestre em seu próprio domínio.
Teria sido isso que levou Claire Angelini a dar a Et tu es dehors a aparência de ficção? Como se sabe, a arte, e talvez principalmente (como puderam formular, depois de Adorno, Godard ou Lanzmann) desde a exterminação nazista, confronta-se na história com um ponto cego, invisível ou interdito ao olhar. Todo filme que se confronta com essa questão acaba tendo que se questionar sobre a extensão desse buraco negro; a extensão do que não se pode dizer ou mostrar, do que não se pode ver ou ouvir – e daquilo que também se pode. O filme de Claire Angelini se aproxima várias vezes do intolerável, impensável, impossível. O intolerável absoluto dos discursos dos “médicos” do Instituto Kaiser Wilhelm. O inimaginável dos fatos que se passam no tão belo castelo renascentista de Hartheim. Nada nos será mostrado além de fragmentos quase abstratos de imagens de M, desfilando uma após outra sobre uma mesa de montagem num plano muito geral. O grão, o preto e branco, o enquadramento e, sobretudo, o efeito de desagregação infinitamente repetida que produz a passagem lenta do espelho substituindo um fotograma pelo seguinte – retorno do grão ao pó – devolvem essas imagens ao puro terror de que provêm. Pior do que o Grito de Munch, ao qual o balão que voa entre os fios elétricos acaba por se assemelhar.
O intolerável também das continuidades que o filme constrói: a psiquiatria como continuação da eugenia – a internação, a desumanização, a indignidade e a insistência nas duchas coletivas que acabam por caracterizar como um campo essa coisa que se nomeia asilo. A janela do quarto de hotel a partir da qual fala o narrador, janela que constitui o suporte da palavra, enuncia-se aqui em janelas com grades ou vidro martelado, azulejos amarelos ou esverdeados, aquecedores e pinturas rachadas, portas fechadas e sons de prisão; toda a obsedante geometria da internação, a qual vêm se juntar as telas: telas de cinema, monitores de computador, que mostram os lugares enquanto o protagonista, a enfermeira, o psiquiatra ou o “responsável” descrevem sua ignomínia – telas cuja presença torna-se obsessiva. O cinema constrói a memória, opondo desse modo uma imagem à palavra, imagem que de novo produz essa palavra: cortina de janela ou árvore decapitada de um jardim de hospital.
Houve, certamente, como lembra o filme, a anti-psiquiatria – ato de resistência, lembrando que só é louco aquele que a sociedade não quer ver (“Se não houvesse médicos não haveria nunca doentes, pois foi pelos médicos e não pelos doentes que a sociedade começou”, escreveu Artaud). Mas a continuidade não pára aí. É nos migrantes, refugiados, naqueles que pedem asilo (asilo: estranha circulação do vocabulário), internos em campos de detenção, que o narrador vai por fim encontrar um último efeito de espelhamento. São poucos os atos de resistência que ainda parecem querer tentar salvar esses migrantes – que continuam ainda presos, deslocados – poucos, se não o que se passa nas palavras e no olhar dessa mulher, dessa personagem, Nathalie. Belos planos fechados sobre seu rosto quase imóvel mostram-na olhando uma tela que não vemos, mas que adivinhamos. Nesses planos, passam pelo olhar de Nathalie – ou sobretudo pelo de Christine Pirrard, que a encarna, mas não a representa – vergonha, cólera, estupefação, determinação. Assim como as palavras dessas testemunhas de ficção, esse olhar deixa sua marca como aquilo que resta contra a “vergonha de ser um homem”, cuja importância foi sublinhada por Gilles Deleuze nos escritos de Primo Levi. “Se não sentimos essa vergonha”, dizia Deleuze, “não há razão para fazermos arte”. Essa vergonha está sem dúvida no centro de Et tu es dehors
“Esses migrantes”, diz o narrador cujo rosto por fim descobrimos mal emergindo da penumbra, “me falam de mim mesmo pelo simples fato de sua presença”. Eles encenam mais uma vez a história, a única história que talvez valha a pena: a que não se pode dizer, a dos estrangeiros, dos loucos, dos deficientes, dos indesejados. Sou também capaz, eu espectador – como esse velho que narra o filme com sua voz suave – de afirmar que os migrantes intoleravelmente expulsos do país cuja língua eu falo me falam de mim? Migrantes, mim: M = M.