claire angelini fetes votre possible

 

FÊTES / FAITES VOTRE POSSIBLE

FILM


Des lignes parallèles entrelacées explorent ici quelques fragments liés à la notion de fête, au prisme de l’histoire (une séquence festive révolutionnaire attachée à la Fête de la régénération de l’An II), de la peinture (les tableaux de masques du peintre belge James Ensor) et du cinéma (un moment presque documentaire de carnaval par Ivan Mosjoukine en 1920).


FICHE TECHNIQUE


France  l 2020  I HD I Couleur I 16 minutes

Caméra, son et montage: Claire Angelini

Post-production: Verinet, München

Production: Albanera





Diffusions


Rencontres d'Histoire critique, Espace Grésillons, Université populaire de Gennevilliers, 2019.

Werkstattkino Munich 2021.






 

 
politiquepolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlpolitique.htmlshapeimage_1_link_0shapeimage_1_link_1shapeimage_1_link_2shapeimage_1_link_3shapeimage_1_link_4shapeimage_1_link_5shapeimage_1_link_6shapeimage_1_link_7shapeimage_1_link_8

HISTOIRE      POLITIQUE      EMPREINTE      TERRITOIRE                      CLAIRE ANGELINI

Fêtes/Faites votre possible

Claire Angelini


Mon projet sur la fête part d‘une intuition: l’envie d’articuler la question de la fête et celle de la nature, sujet éminemment actuel.

Le cœur du film est donc cette idée de nature, cette alliance entre la fête et la nature.


Le film se construit sur des lignes et des strates, avec des allers retours, parfois au sein de chaque bloc. Il y a une avancée chronologique des plans et des images  : on part de 1793 et on finit avec 1921 (mais la musique est de 1966 ou 1968), en passant par 2019 et la fin du XIXème siècle (avec Ensor).  Le mouvement du texte, lui, est en contradiction avec cette avancée et recule continument: on commence en 1793, après la Révolution, et on se retrouve avant, sous l'Ancien régime.

La musique elle aussi avance chronologiquement: le premier bloc, le plus important, celui de Ravel, donc, est du début du XXème siècle, se poursuit avec le bloc plus récent, celui de Zimmermann, du milieu du XXème siècle. Le film existe donc dans cette tension temporelle au sein des blocs et dans l'ensemble. Cette injure à la chronologie comporte aussi un sous-texte politique.


Ce que je cherche c’est la sédimentation du sens. Dans un petit format, er à partir de ces éclats d'images, de sons, de musique un précipité de sens. Critique bien évidemment. Et pour aiguiser le sens critique du spectateur.

Car, étant donnée une histoire critique, il y a aussi art critique.


Le film commence en proposant des fragments minuscules. 

Ce qu'il met en scène, ce sont des sortes de flashs d’images vues à travers un œil. Il s’agit de voir à travers quelque chose, de dévoiler un espace qui pourrait être une grotte.

En réalité, c’est l’œil d’un masque vénitien par lequel on aperçoit un masque mexicain  de la fête des morts: confrontation de deux fêtes ayant à voir avec la vie et la mort, dans ce bref instant. Une sorte de double fête mise en abyme.

Cela me permet de poser le duo vie/ mort qui s’énonce dans la fête.


Mais aussi l’idée d’un commencement, celui d'une grotte pariétale et sur laquelle vient rebondir la citation de Georges Bataille sur l’art et la fête.

Cette citation, choisie parmi d'autres possibles de Bataille, était pour moi une façon d’inscrire ce geste de faire un film sur la fête. Si la fête est indissociable de la naissance de l’art alors ce sujet me concerne hautement. La citation de Bataille renvoie bien sûr à l’art, au mystère de ces productions artistiques premières, c'est-à-dire à leur mutisme – nous ne savons rien de la façon dont elles pouvaient s'insérer dans un contexte festif ou pas – mais aussi au mystère de la fête lui-même, puisque nous ne savons rien non plus de la naissance de la fête dans le cours de l'évolution humaine.

Le masque qui laisse apparaître la couleur et des contours du masque mexicain, c’est un peu comme la grotte pariétale qui dévoile dans le pinceau lumineux du spéléologue la danse de la vie et de la mort dont parle Bataille. On comprend aussi mieux les premières images en lisant cette citation.


Ces tout petits morceaux un peu étranges, sont aussi comme une adresse au spectateur. Dans quel type de film rentre-t-il? Le spectateur est invité à entrer dans un court-métrage dont il s'agira de capter le sens stratifié, éclaté. Un film fait de petits morceaux de sens. Un film où les juxtapositions d'éléments, comme en abyme, sont censés créer du sens. Un sens aussi pour chacun. Car le matériau filmique renvoie finalement à l'expérience sensible de chacune et chacun.


La période révolutionnaire se caractérise par un très grand nombre de célébrations et de fêtes. Parmi ces fêtes j’ai choisi celle du 10 août 1793.

C’est une très grande fête, un cortège immense en 5 stations, dont la première est un rassemblement à la Bastille autour d’une fontaine de la régénération. Il semblerait que deux-cent-mille personnes y aient prononcé le serment liberté égalité fraternité ou la mort.

C'est Robespierre qui établit les principes généraux des fêtes révolutionnaires dans un rapport du 7 mai 1794 ("un système de fêtes nationales bien entendu serait à la fois le plus doux lien de fraternité et le plus puissant moyen de régénération.")

Et c’est le peintre David qui en est le maître de cérémonie. Il s'agit de mettre en scène ces fêtes avec des plans détaillés pour chaque cérémonie. Les fêtes nationales font partie de l'éducation publique. David tenant du néo-classicisme, esthétique nouvelle, opposée au baroque, s’engage après 1789 pour la démocratisation de la peinture. Et lorsqu’il devient député à la convention, il est l’inspirateur de l’art et des fêtes révolutionnaires.


Le texte utilisé par moi, est un collage entre le texte programmatique de cette fête par David et un article de gazette d’époque relatant l’événement.

Ce qui m’a intéressée ici, c’est  le déploiement autour de cette fête d’un discours qui articule l’idée de nature et l’émancipation. Seul l’homme libre est digne de la nature.

Comme s'il y avait un lien entre la nature de l'humain et la nature.


L’estampe qui convoque ce moment festif, est une petite gravure réalisée  à l’eau-forte et au burin. Elle a été gravée en 1797 et signée par Isidore Stanislas Helman, graveur d’origine lilloise.


Dans mon film, la gravure de petite taille a été agrandie pour pouvoir être refilmée en détail, sur un écran. La texture qui l’apparente à une tapisserie vient de ce passage par une technique numérique. Elle est médiatisée via une technique visuelle récente, et en porte la marque esthétique.

Le son, c’est celui de Paris aujourd’hui. Le trafic routier et urbain est évidemment en opposition avec cette aspiration à faire un avec la nature, tel qu’énoncé dans le programme. Ce hors-champ sonore est aussi un appel critique au spectateur  : où en sommes-nous de notre rapport à la nature  ?


Le deuxième moment est un plan panoramique à 180°.

Le lieu d'où il a été tourné se trouve au cœur du pays de Gex, en direction du Mont Mouret. L'intérêt de ce point de vue est qu'il offre un panorama complet où toutes les directions sont possibles. Car l’aisance du regard et le sentiment de la fête ne se séparent pas.


Le lieu de tournage de ce deuxième mouvement n'a bien sûr pas été choisi au hasard et a fait l'objet de plusieurs repérages dans la région.

La situation géographique de ce plateau est particulièrement intéressante. Elle me permet d’embrasser d’un côté le col de la Faucille dont on aperçoit la crête caractéristique et l’antenne en début de plan, mais aussi, ensuite la ville de Genève tout au fond, minuscule, avec l’amorce du lac Léman et le Mont Blanc, le plan s’achevant du côté d'un site appelé le fort de l’Ecluse (à cause d'un fort de Vauban construit dans cette clue naturelle) et qui est aussi une faille géologique caractéristique des mouvements subis par le Jura à l’époque hercynienne.

Il permet d'unir dans un même mouvement de caméra, deux montagnes, deux périodes de l’histoire géologique de la terre.

Ceci est donc un spectacle géologique. Une autre fête, celle du regard-géographe. Cette fête du regard sur la nature, où passent trois adolescents et jeunes adultes, permet de réfléchir sur le temps géologique et ses particularités. Encore une fois, de nous interroger sur notre rapport actuel à cette nature dont nous parlons de plus en plus. Mais le lieu fait aussi écho au temps des Lumières.


Genève bien sûr est un clin d'œil aux Lumières, à cette Auflkärung, terreau préparatoire aux temps révolutionnaires. Je peux imaginer que Jean-Jacques Rousseau est peut-être venu herboriser dans les parages du Mont Mouret.


En fait, dans le film, ce passage fonctionne comme une promesse. Une promesse que nous pouvons réactualiser et réinvestir via la vision de ces adolescents qui marchent. Ils sont l'avenir. Mais le paradoxe bien sûr, c'est que le texte est antérieur au programme de David. Ce moment d’élan et d’enthousiasme est donc un «  trésor perdu  » pour paraphraser SW. En réalité, c'est au spectateur d'imaginer et d'investir ce plan: car on peut aussi trouver dans le texte de Michelet où il est question de solidarité et d'élan un écho contemporain aux luttes sociales de ceux qui aujourd'hui se sont élancés ou vont s'élancer.


L’extrait du texte de Michelet fait référence aux fêtes de la fédération de 1790, fête populaire qui rappelle la prise de la Bastille. Il est réécrit en s’incorporant un –nous– qui rend la voix plus proche et surtout, qui rapproche les trois personnages qui cheminent, de cette voix qui parle. Au spectateur alors d’imaginer à sa guide, soit qu’il s’agisse du souvenir de l’un des enfants, le racontant plus tard, soit qu’il s’agisse des descendants de la personne qui parle. Le sens est ouvert mais le texte établit une relation entre le texte et ce cheminement.


Là encore le son du plan, l'ambiance du lieu marqué par le bruit des avions dû à la proximité de l’aéroport international de Genève a toute son importance. Ce son, qui est une part de la réalité du lieu et que je capte, j'y vois encore une fois une sorte d'adresse à nous qui vivons les contradictions de la société contemporaine capitaliste demander  : dans quelle nature voulons-nous vivre  ? Quelle nature entendons-nous célébrer  ?


En réalité, nous sommes très loin de l’élan révolutionnaire de 1791, nous nous éloignons de lui de plus en plus, et c’est pourquoi nous entrons cut, c'est-à-dire immédiatement dans  une toute autre signification de la fête.


Les troisième et quatrième moments du film sont une plongée dans l’urbain, dans le masque et la grimace, dans le jeu social, et dans le malheur qui est aussi une bouffonnerie.


C'est le peintre belge d'Ostende James Ensor, dont on feuillette un catalogue à la recherche de ses peintures de masques, qui nous introduit à cet aspect de la fête.


Ensor est le peintre du carnaval et de la mort, il l’est aussi des grèves et des agitations sociales de son temps.

Le travail sur les masques d’Ensor renvoie à la tradition carnavalesque d’Ostende, sa ville natale.

Le carnaval d’Ostende, dans lequel il puise son aspiration, est un équivalent de celui de Nice  dans le film.

Le carnaval, survivance païenne, est par excellence la fête de la société inégalitaire. C’est la soupape de sécurité qui concède un temps d’excès et de folie où les rôles sociaux s’échangent un jour et se retrouvent inchangés le lendemain et tout le reste de l'année.


Le masque et la foule sont indissociables. Le masque peut être hypocrite et repoussant. Les visages tordus sont grimaçants, et le masque cache le vrai visage des êtres.


Ici, nous entendons les fragments d'un texte de Louis-Sébastien-Mercier évoquer les temps pré-révolutionnaires. Celui où les fêtes fastueuses de la monarchie d'Ancien Régime cherchaient à masquer la misère et les inégalités sociales.

On pourrait dire que cette fausse fête qui simule pour dissimuler la misère du corps social et ses inégalités criantes, se retrouve dans le jeu de dupes des masques ensoriens.

Ce que dit L S Mercier, était en effet pour moi un troublant équivalent de la peinture de James Ensor.


L’histoire de l’Enfant du carnaval film de 1921 d’Ivan Mosjoukine, est encore une histoire de tromperie et de vrais-faux sous les masques et le rire. Mais ici c’est le motif documenté du carnaval que j’ai isolé. Têtes gigantesques, pierrots en folie, foule déchaînée. Pour moi ce carnaval de Nice fait directement écho à ce que dit Mercier. Dans ce morceau de film, que j’ai refilmé et remonté, outre le déchaînement festif, ce qui m’intéresse, c’est le motif  : Nice, la fête. Pour moi, depuis le 14 juillet 2016, un malheur.

Et la fête du 14 juillet 2016 se termina précisément par un malheur car il ne restait plus de la fête révolutionnaire que l’écume, en une espèce de black Friday de la révolution, et même si c'était un jeudi soir  : un moment à consommer. Malheur à ceux qui perdent la mémoire  !


La musique: elle fait partie du sens du film.

Le son déjà, raconte quelque chose.


Alborada del gracioso appartient à l'ensemble des Miroirs, écrits par Ravel entre 1904 et 1905, pour le piano. Parmi ces 5 pièces, Ravel en retranscrit 2 pour orchestre. Alborada del gracioso, la quatrième de ces pièces, a été orchestré 15 ans après l'écriture de la version originale.

Alborada del gracioso signifie littéralement "aubade du bouffon".


La musique pour les soupers du roi Ubu dit ballet noir en 7 parties et une entrée a été créée à Berlin au début de l’année 1968.


Je cite ici les mots de Zimmermann

J’ai appelé cette œuvre Musique pour les soupers du roi Ubu. Et il s’agit d’un ballet noir exécuté au cours d’un banquet à la cour d’Ubu. L’académie du pays en question, où est censé se dérouler le banquet, est citée par Ubu, pour être en fin de compte passée à la trappe lors de la Marche du décervelage, symbole du destin d’une académie libre sous le gouvernement d’un usurpateur. J’ai utilisé des collages musicaux très amusants ou au contraire très féroces  (au sens propre du mot) pour illustrer notre situation spirituelle et culturelle tout à fait disproportionnée.

Cette pièce est constituée exclusivement de collages basés sur des danses des XVIème et XVIIème siècle enrichis par des citations de compositeurs du passé et du présent (l’œuvre est elle-même un montage où l'accord initial du  Klavierstück IX de  Stockhausen, frappé 139 fois dans l'original, coexiste avec la Marche au supplice de la  Symphonie Fantastique  de Berlioz et la  Chevauchée des Walkyries). C’est une farce qui se présente comme Ubu lui-même  : brave et apparemment joyeuse, plantureuse et gloutonne  : en apparence, une farce violente, mais pour celui qui sait lire entre les lignes, une épigramme alarmante, macabre et comique à la fois.


Claire Angelini 2020