claire angelini-dessin

 

FRANÇAIS


Si les films explorent chacun un dispositif singulier, les dessins eux s’agrègent ou se déploient en séries, et en séries de séries, par engendrement, reprises et bifurcations, prolifération potentiellement infinie même si soudain, quelque chose aura changé. Cette prolifération que l’on sent parfois à l’œuvre au cœur du dessin, grouillement de formes et de réseaux de formes, semble gagner par contagion l’acte même de l’achèvement, un dessin n’en finissant plus d’être dessiné appelant un autre dessin n’en finissant plus de décliner la forme initiale en variantes et variations. Pourtant, c’est chaque fois une structure différente qui apparaît, une composition claire dont les points d’accroche, les lignes de force, la répartition des poids, met à jour une constellation nouvelle et parfaitement lisible – constellation étant pour moi ici un terme aussi évident qu’étrange, tant les œuvres sont terreuses, ancrées dans un sol. On connaît bien, dans l’art récent, ce travail par séries exploratoires, jeu de la tension entre principes et variations, confrontation d’un dispositif expérimental fondamental à des conditions ou à des techniques toujours renouvelées, depuis Soulages ou Warhol, jusqu’aux nombreuses adaptations cinématographiques des dialogues de Pavese par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, en passant par Dubuffet, étrangement proche des Straub ici, justement pour le sol, la terre, la matière et le matériau. Ce principe sériel est bien sûr lié directement à une conception de l’art comme étude systématique, reformulation constante, affinement et complexification d’un problème.Des dessins en séries comme s’il fallait protéger une image de la solitude, parce qu’isolée elle courrait trop le risque de ne pas être visible, ou compréhensible ; mais des images en série aussi comme des photogrammes de film. La suite des dessins de Claire Angelini ne prendrait que difficilement une dimension réellement narrative, mais elle donne parfois la sensation de décrire l’évolution, lente sans doute mais on n’en peut en fait rien savoir, d’une forme vivante. De la décrire par coupes, instantanées ou à temps de pose long, les flux et bougés du vivant prenant la forme des gestes, prudents ou brusques, de la plume ou de la vivante qui la tient.

Mais il est possible que la mise en série de ces images ne soit pas à voir ou sentir ou comprendre temporellement, mais plutôt selon un autre mode, double : spatialement, et logiquement. On pourrait dire d’ailleurs que cela est vrai même du cinéma de Claire Angelini : le montage n’y est pas producteur d’une temporalité cohérente, mais de liens logiques et d’agencements spatiaux. C’est finalement la forme de l’atlas qui ferait la consistance de ces séries de dessins – atlas de géographie, de botanique, de biologie cellulaire ou de micro-anatomie. Atlas sans légendes. Comme les topologies et texturologies de Dubuffet, qui se construisent et se déploient en études systématiques d’espèces d’espaces et des matières de la terre, constituent un atlas détaillant avec minutie la mort de la forme en art.

Ces dessins sont abstraits, bien sûr. Ils jouent de superpositions de directions et d’épaisseurs, de noirs et de gris, de coulés et de grattés. Certains évoquent assez directement la calligraphie, japonaise ou, pour un certain sens du jeu des inflexions dans les courbures, arabe. Un certain sens du filé rythmique de la plume contre le grain du papier, que l’on sent jusqu’à presque l’entendre.

Mais en même temps, l’abstraction dans ces dessins est relative ou fausse ou problématique (un autre problème). Car ces dessins sont bien sûr des paysages. Ce n’est pas un sentiment vague ou une métaphore : on voit très précisément des montagnes (ce sont tous des paysages montagneux, sans doute parce que ce sont ceux-là qui montrent la géologie à son plus évident, ou à son plus torturé), des bosquets, des forêts, des lacs, des rivières, des chemins, des frontières. Une seule chose manque : un horizon ; sinon tout est là. L’horizon manquant fait d’ailleurs basculer ces paysages en cartes, en relevés topographiques, ressemblant à ces belles productions de l’IGN où se superposent formes géographiques irrégulières, quadrillage géodésique, stries modulées des courbes de niveau, et symboles épars figuratifs ou abstraits indiquant le type de végétation, de sous-sol, etc. Tout est là mais le temps de l’observation, la succession des variantes au rythme du parcours et du regard, rendent finalement tout douteux : ce qui était fougères devient feu, ce qui était lac grotte. L’ambiguïté inscrite dans ces dessins s’auto-alimente, produit un vacillement dans la perception qui est une instabilité mais aussi un jeu. La précision du trait finit par imploser en une désagrégation des signes. Les dessins prennent par moments la fonction de tests de Rorschach : on voit des paysages, mais aussi des coupes géologiques, une forêt ou un incendie, des ratures ou une vague immense, un vitrail, un schéma d’écorce ou le plan d’un réseau fluvial. Le dessin semble souvent pris dans un devenir végétal : ramures, nervures, plis et réseaux, trames, rhizomes… Finalement, mais ici le spectateur qui écrit est peut-être aussi responsable que l’auteure qui dessine (c’est précisément le flottement que maintiennent les tests de Rorschach), on finit par voir des monstres. De véritables monstres, assez terribles. L’ensemble des dessins déploie tout une tératologie fantasmatique, de formes mais aussi, comme toujours avec les monstres, de textures. Les lacs sont des gouffres qui sont des bouches hurlantes ou des mains griffues ; les anfractuosités, des précipices ou des grottes ou des sexes ; les touffes d’herbe, une fourrure, des oiseaux ou des yeux. Quelque chose de l’esprit de Grandville frétille ou tremble au fond de ces dessins. Mais on voit aussi, de toute façon, des cicatrices. Traces profondes parcourant la page selon des trajectoires singulières, y pesant de tout leur poids, biffures ou éros + massacre. Cicatrices zébrées, suturées, ou ouvertes, elles marquent ces paysages devenus peau ou corps, leur donnent ou imposent un passé, celui de la griffure comme sur le papier, et celui parfois de la guérison en cours. Ici, un problème d’histoire, et un problème d’échelle : du temps subjectif de la guérison au temps collectif voire géologique, de l’étendue d’une plaine aux replis les plus intimes. C’est la question du dedans et du dehors, qui renvoie à la place du sujet dans le mouvement historique et dont Derrida faisait une clé du concept d’archive – archive dont pour lui un archétype était la circoncision, cicatrice intime mais déjà extérieure, donnant à qui la porte une place précise dans l’histoire, qui est immédiatement politique.

Benoît Turquety, Extrait de Territorien / Zeit (Territoires / Temps), galerie Christian Pixis 2012



























DEUTSCH



Während jeder einzelne Film ein bestimmtes Anliegen verfolgt, fügen oder entwickeln sich die Zeichnungen zu Serien, und zu Serien von Serien, durch Erzeugung, Wiederaufnahme, Gabelung und potentiell unendliche Wucherung, auch wenn sich plötzlich etwas verändert haben wird. Diese Wucherung, die manchmal inmitten der Zeichnung spürbar wächst, das Wimmeln von Formen und Netzen von Formen, scheint die Vollendung selbst anzustecken: eine Zeichnung, die nicht fertig gezeichnet werden kann, die eine weitere Zeichnung anstiftet, welche wiederum die Ausgangsform endlos in Varianten und Variationen flektiert. Dennoch entsteht jedes Mal eine andere Struktur, eine klare Komposition, deren Aufhänger, Kraftlinien und Gewichtung eine neue und deutlich lesbare Konstellation ergeben – wobei Konstellation hier für mich ein treffender, wenn auch merkwürdiger Begriff ist, angesichts dieses erdhaltigen und erdverbundenen Werks. In der jüngeren Kunst sind solche Arbeiten wohlbekannt: Erkundungs-Serien, das Spiel mit Spannung zwischen Prinzip und Variation, die Auseinandersetzung einer grundlegenden experimentellen Anordnung unter immer wieder neuen Bedingungen und Techniken, angefangen bei Soulages oder Warhol, bis hin zu den zahlreichen filmischen Adaptationen der Pavese-Dialoge durch Danièle Huillet und Jean-Marie Straub, mit einem Abstecher bei Dubuffet, der hier seltsamerweise in die Nähe der Straubs rückt, gerade was Boden, Erde, Material und Materie betrifft. Das serielle Prinzip hängt natürlich direkt mit einer Auffassung zusammen, bei der die Kunst systematische Studie, kontinuierliche Neu-Formulierung, Verfeinerung und Verkomplizierung eines Problems ist.

Zeichnungen in Serie, als müsse ein Bild vor der Einsamkeit bewahrt werden, weil es isoliert Gefahr laufen würde, nicht sichtbar oder verstehbar zu sein; aber auch Bilder in Serie wie Einzelbilder beim Film. Die Abfolge von Claire Angelinis Zeichnungen könnte nur schwer in einen wirklich erzählerischen Zusammenhang gebracht werden, aber sie gibt manchmal das Gefühl, langsam, doch eigentlich unmerklich die Herausbildung einer lebendigen Form zu beschreiben. Durch Schnitte, Momentaufnahmen oder lange Belichtungen bekommen die Fluktuationen und Bewegungen des Lebendigen die Form von vorsichtigen oder brüsken Gesten der Feder oder der Lebenden, die sie hält.

Doch möglicherweise soll die Serialität dieser Bilder nicht zeitlich gesehen, gefühlt oder verstanden werden, sondern eher auf andere, doppelte Weise: räumlich und logisch. Man könnte auch sagen, dass dies für Claire Angelinis Filme gilt: Hier lässt der Schnitt keine zusammenhängende Zeitstruktur entstehen, sondern logische Verbindungen und räumliche Anordnungen. Im Grunde genommen entspricht die Form des Atlas  am besten dem Wesen dieser Serien von Zeichnungen – ein geografischer, botanischer, zellbiologischer oder mikroanatomischer Atlas. Ein Atlas ohne Legenden. Genauso wie die Topologien und Texturologien eines Dubuffet, die sich zu systematischen Studien von Arten, Räumen und Erdmaterialien fügen und ausweiten, einen Atlas bilden, der minutiös den Tod der Form in der Kunst darlegt.

Diese Zeichnungen sind natürlich abstrakt. Sie leben von Überlagerungen verschiedener Richtungen und Dichten, Schwarz und Grau, Fließen und Schaben. Einige sind ziemlich direkt an die Kalligraphie angelehnt, an die japanische oder, wegen einer bestimmten Richtung der Krümmungen und Rundungen, an die arabische. Eine bestimmte Richtung  der rhythmischen Bewegung der Feder auf der Körnung des Papiers, die nachvollziehbar, ja geradezu hörbar wird.

Aber gleichzeitig ist die Abstraktheit dieser Zeichnungen relativ, oder falsch, oder problematisch (wieder ein Problem). Denn natürlich sind diese Zeichnungen Landschaften. Es ist nicht nur ein unbestimmtes Gefühl oder eine Metapher: Ganz deutlich erkennbar sind Berge (immer sind es Gebirgslandschaften, wahrscheinlich weil solche die Geologie so deutlich und so geschunden abbilden), Wäldchen, Wälder, Seen, Flüsse, Wege, Grenzen. Nur eines fehlt: ein Horizont, – ansonsten ist alles da. Der fehlende Horizont lässt diese Landschaften zu Landkarten werden, zu topografischen Lageplänen, die an die schönen Exemplare des französischen Kartendienstes IGN (Institut Géographique National) erinnern, wo sich unregelmäßige geographische Formen, geodätische Raster, Riefelungen der Höhenlinien und vereinzelte bildliche oder abstrakte Symbole für Vegetationsart oder Untergrund überlagern.

Alles ist da, aber während des Betrachtens wird es durch die Aufeinanderfolge der Varianten je nach Rhythmus und Richtung des übers Bild gleitenden Blicks immer fragwürdiger: der Farn wird zu Feuer, der See zur Grotte. Die in diese Zeichnungen eingeschriebene Doppeldeutigkeit speist sich aus sich selbst, erzeugt ein Flackern der Wahrnehmung, die Unbeständigkeit und Spiel zugleich ist. Die Präzision des Strichs bewirkt schließlich die Zersetzung der Zeichen durch Implosion. Zeitweise funktionieren die Zeichnungen wie der Rorschach-Test: Man sieht Landschaften, aber auch geologische Schnitte, einen Wald oder ein Feuer, Streichungen oder eine Riesenwelle, ein Bleiglasfenster, Rindenmaserung oder ein Wasserwegenetz. Oft scheint die Zeichnung im pflanzlichen Werden begriffen zu sein: Verästelungen, Blattadern, Knicke und Gespinste, Geflechte, Rhizome… Am Ende, – doch an dieser Stelle liegt es zu gleichen Teilen am schreibenden Betrachter wie an der Zeichnenden (eben das den Rorschach-Test innewohnende Schwanken), sieht man Monster. Richtig schreckliche Monster. Die Gesamtheit der Zeichnungen entwickelt eine gespenstische Teratologie an Formen, aber auch, wie immer bei Monstern, an Texturen. Die Seen sind Schlünde sind heulende Münder oder Krallenhände; die Einbuchtungen sind Abgründe oder Grotten oder Geschlechter; die Grasbüschel sind Pelz, Vögel oder Augen. Etwas vom Geist eines Grandville flimmert oder zittert tief in den Zeichnungen drinnen.

Aber in jedem Falle sieht man auch Narben. Tiefe Spuren, die merkwürdige Bahnen über die Seite ziehen und mit ihrem ganzen Gewicht darauf lasten, Durchgestrichenes oder Eros + Massaker. Quer gestreifte, genähte oder offene Narben markieren diese Haut oder Leib gewordenen Landschaften, geben ihnen eine Vergangenheit oder zwingen ihnen eine auf, wie ein Kratzer auf dem Papier, – und manchmal wie eine begonnene Heilung. Hier tritt ein Problem der Geschichte und ein Problem des Maßstabs zu Tage: von der subjektiven Zeit der Heilung bis zur kollektiven, ja geologischen Zeit, von der Weite einer Ebene bis hin zum intimsten Rückzugsgebiet. Es ist die Frage nach dem Drinnen und dem Draußen, die auf den Standpunkt des Subjekts in der geschichtlichen Bewegung verweist und bei Derrida zum Schlüssel seines Begriffs vom Archiv wird – eines Archivs, dessen Archetyp für ihn die Beschneidung war, eine intime, aber doch schon äußerliche Narbe, die ihrem Träger einen genauen Platz in der unmittelbar politischen Geschichte zuweist.


Benoît Turquety, Auszug  aus Territorien / Zeit , Christian Pixis Galerie 2012




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